Une lente genèse

De vaines recommandations

En 1698 déjà, inspectant les fortifications de Langres, Vauban préconisait la construction d’un camp retranché au sud de l’enceinte urbaine, qui, «bâti en temps de paix, pourrait servir à y abriter huit ou dix mille hommes en temps de guerre». Mais vingt ans auparavant, suite à l’annexion de la Franche-Comté, Langres a cessé d’être une place forte frontière. Dès lors et pour plus d’un siècle et demi, la modernisation, voire même l’entretien de ses fortifications, devint une moindre préoccupation.

La dure leçon de 1814

Ainsi Langres fut-elle aisément envahie le 17 janvier 1814 par 15 000 soldats autrichiens, russes et prussiens. Tirant leçon de la déconvenue, la Commission de Défense déclare bientôt que «Langres doit devenir une grande place fondamentale de la défense du royaume, tant pour les deux frontières du Rhin et du Jura que pour l’intérieur». Si 1821 marque le classement de la ville comme place forte de deuxième catégorie, il faut attendre 1832 pour que ses édiles cèdent les remparts et les terrains avoisinants au Génie militaire, condition préalable à la restauration complète de l’enceinte urbaine.

Un périmètre fortifié plus que doublé

En 1841, le Comité du génie affirme qu’«Il y a donc maintenant unanimité pour faire de Langres la grande place de dépôt des frontières du nord-est et de l’extrême droite de la défensive de l’intérieur». Commencée l’année suivante, la construction de la citadelle sera l’application directe de cette résolution. Quasiment achevée en 1850, elle se verra précédée au sud de deux ouvrages avancés, ou lunettes, et sera reliée à l’enceinte de la ville par deux courtines de jonction. Celles-ci délimitaient un camp retranché, où pouvait séjourner une armée en campagne.

Sa réalisation

Barrage et base arrière

A 600 m au sud de l’enceinte urbaine, la citadelle fut conçue pour interdire les accès directs à la ville. Elle vient donc pallier les carences défensives de cette dernière dont l'enceinte fut entièrement modernisée dans le même temps. En 1888, la partie ouest de la citadelle recevra le nom de Quartier Turenne.
En cas de conflit, la place de Langres était destinée à rassembler et soutenir les armées qui auraient pu manœuvrer entre Vosges et Jura. Dans ce cas de figure, les réserves accumulées à l’intérieur de la citadelle devaient ravitailler 18000 hommes et 1000 chevaux pendant six mois.

Les ultimes bastions

Ouvrage bastionné, la citadelle de Langres fut une des ultimes réalisations qu’inspirèrent, trois siècles durant, les préceptes de Vauban et de ses prédécéceurs. Plusieurs fois modifié, le projet définitif lui assigna l’accueil d’un régiment d’infanterie, en temps de paix, soit d’environ 3000 hommes.
En cas de conflit, cette véritable ville militaire, autonome, devait approvisionner toute une armée, grâce au stockage de quelque 4 400 000 rations. Dans l’éventualité d’un revers, elle pouvait devenir l’ultime point fortifié capable de ralentir la progression d’une armée ennemie en route vers Paris.

Un manque de main d’œuvre

Dirigés jusqu’en 1850 par le commandant Chauchard, les travaux seront confiés aux troupes du Génie ; leur montant atteindra près de 11 millions de francs, équivalant à 5 millions de journées de terrassiers. A un moment où la mise en place de voies ferrées dans toute la France requérait une main d’œuvre considérable, le chantier souffrit d’une pénurie d’effectifs, à laquelle on voulut remédier par l’appel à près de 500 militaires. En fournissant un rendement inférieur de moitié à celui des civils, le contingent, par manque de motivation, se révéla peu efficace.

Un ensemble complet

L’enceinte

Construites sur un terrain totalisant 79 hectares d’emprise militaire, les fortifications de la citadelle s’étirent surprès de quatre kilomètres et occupent pour l’essentiel le site d’une nécropole gallo-romaine. Huit bastions (N°1 sur le plan) leur ont donné une forme étoilée. Cette enceinte était précédée de fossés atteignant jusqu’à 25 mètres de largeur et dix mètres de profondeur. Ceux-ci ont nécessité le laborieux creusement de la roche calcaire, particulièrement affleurante à cet endroit du plateau.

Les accès

La citadelle est accessible au nord comme au sud par deux portes (N°2), autrefois équipées d’un double pont-levis. Une demi-lune (N°3) conférait à la porte sud une protection supplémentaire en la protégeant des tirs directs.
La citadelle est traversée par la route conduisant à Dijon.
Conséquence de la création des chicanes d’accès, cet axe fut déplacé de quelques dizaines de mètres, vers l’est, entre les deux portes évoquées.

Les casernements

Quatre casernes (N°5), pour 750 hommes chacune, encadrent la place d’Armes de 3,5 hectares.
Entièrement voûtées et leurs terrasses surmontées de massifs en terre, elles étaient à l'épreuve des bombes.
Chaque caserne était pourvue d’une cuisine et d’un bloc sanitaire attenants.
A l’ouest, les déblais des fossés permirent la création d’un énorme talus, ou cavalier (N°6), également destiné à protéger les casernes, mais aussi à déployer une partie de l’artillerie.

Une stricte répartition

Hôpital, manutention , magasins à vivres, arsenal et logements des officiers ont quant à eux été créés à l’est de la route de Dijon. D’abord prévu pour 600 malades ou blessés, l’hôpital vit finalement sa capacité ramenée à 140 lits.

A l’écart des lieux d’exercice, de logement et de travail, trois poudrières (N°11) furent établies dans autant de bastions, afin d’y stocker 200 tonnes de poudre. Deux supplémentaires (N°12) furent construites à la fin du XIXe siècle. Enfin, deux ouvrages bastionnés à deux faces, ou lunettes, furent construits en avant de la citadelle, pour en contrôler l’accès sud.

Une sobre mise en œuvre

La gamme des matériaux employés fut restreinte  : pierre de taille pour l’enceinte et l’arsenal, moellons enduits pour la plupart des autres bâtiments, où l’utilisation de la pierre de taille s’est limitée aux encadrements des baies, ainsi qu’aux chaînes d’angles.
L’horizontalité des casernes est soulignée par des bandeaux qui, placés à l’appui des fenêtres, soulignent les différents niveaux.

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De modernisation en transformations

Une réalisation vite dépassée

Dès 1858, l’apparition du canon rayé marqua l’avènement de l’obus. En augmentant la portée de l’artillerie de siège ainsi que la trajectoire des projectiles, cette innovation condamna les superstructures en pierre et les bastions. Ainsi donc, la citadelle de Langres fut obsolète peu après son achèvement. Il fallut attendre 1868 pour que, sous la menace de la guerre franco-prussienne, soit décidée la construction des forts de Peigney et de la Bonnelle. Enterrés et disposés à quelques kilomètres de la ville, ces ouvrages auront pour objectif de placer la citadelle de Langres hors d’atteinte de l’artillerie adverse.

La création d’annexes

En 1875, le long de la route de Dijon, sont édifiés cinq magasins à ossature métallique. Trois ans plus tard, des magasins généraux d’Armée sont établis au pied de la ville (actuelle zone industrielle) et desservis par une voie ferrée spécifique, raccordée à la ligne Paris-Mulhouse. Venant compléter la capacité de stockage de la citadelle, la « poudrière des Franchises » sera détruite par la Résistance en septembre 1943. Elle avait été créée en même temps qu’un parc à fourrage, établi quant à lui sur le rebord est du plateau (actuel Centre Technique Municipal).
En 1930, le côté sud de la place d’armes se vit complété par des bâtiments réservés à une compagnie de gardes mobiles.

Le désenclavement

Afin de faciliter la circulation, croissante, sur la route nationale 74, les deux portes fortifiées furent en grande partie démolies à la fin des années 1950. Aux abords de la porte sud, la chicane d’entrée fut en outre supprimée.
Au cours de la décennie 1960-1970, les glacis ouest de la citadelle se couvrirent d’immeubles modernes. Abandonnés depuis quelques décennies, les fossés y furent bientôt comblés. En 1991, une fois acquis l’espace compris entre les bastions et le cavalier, la ville y aménagea une esplanade, l’espace Eponine.
Fin 1996, le 711e Groupement des Essences fut transféré à Chalon-sur-Saône. La municipalité acquit alors 14 hectares du quartier Turenne, à l’ouest de la route de Dijon. Une nouvelle histoire débutait.

Un ensemble à redécouvrir

Durant près d’un siècle, les troupes militaires logées à la citadelle ont constitué un élément essentiel de la vie langroise. Acquis par la Ville en 1996, près de la moitié de cet ensemble est en cours de reconversion.
Faute d’avoir été assiégé depuis sa création, ses qualités défensives n’ont jamais pu être appréciées, léguant ainsi un patrimoine militaire et fortifié étonnamment préservé, mais d’une qualité méconnue.

Les unités successives

Au cours de ses vingt premières années d’existence, la citadelle vit se succéder bon nombre d’unités, notamment le 50e Régiment de ligne. En 1873 arriva le 21e Régiment d’infanterie qui, avec des détachements d’autre unités, occupa la citadelle jusqu’en 1939.
A la veille de la Première Guerre mondiale, la citadelle hébergeait la grande majorité des quelque 2000 soldats que comptait alors la place de Langres. Le 21e Régiment d’infanterie paya bientôt un lourd tribut: avec plus de 2800 morts ou blessés, ses rangs durent être renouvelés près de deux fois et demie au cours de la Grande Guerre.
Les effectifs militaires présents à Langres diminuèrent très fortement au cours de l’Après-Guerre : si l’oncomptait encore 2250 hommes en 1921, ceux-ci étaient moins de 500 quinze années plus tard.
A la Libération, la citadelle fut affectée à la maintenance du matériel de transmissions, tandis que la partie sud du quartier Turenne hébergeait une compagnie de gendarmes mobiles depuis 1930. Lorsque ces derniers quittèrent les lieux en 1976, la 711e Compagnie mixte des essences occupait le quartier Turenne depuis trois ans : elle en concluera l’histoire militaire.
A présent, seule la partie est de la citadelle accueille encore un détachement de la 15e Base de Soutien du Matériel de Besançon.

La lunette 10

Un patrimoine rare

La lunette « 10 » (le nombre est tiré de la nomenclature militaire qui a l’habitude de numéroter les différents ouvrages et bâtiments !) est un ouvrage fortifié faisant partie des défenses de la citadelle.
Construite en 1848 en même temps que la citadelle elle-même, elle se présente sous la forme d’un fortin polygonal entouré de profonds fossés et entièrement autonome.
Installée à quelques dizaines de mètres en avant des bastions de la citadelle, elle est une sorte de « sentinelle », un point d’appui avancé destiné à ralentir une attaque venant du plateau.
Ouvrages rares et fragiles du fait de leur isolement, les lunettes ont souvent été démolies suite à l’extension périurbaine ; Langres a la chance d’en conserver encore une (sur les deux originelles).
Bien que propriété militaire jusqu’en 2001, les fossés ont été comblés aux 2/3.
Désormais propriété de la ville de Langres et nonobstant son non entretien depuis plusieurs décennies, cet ouvrage possède un solide potentiel que la collectivité souhaite révéler et encourager via des opérations concertées de restauration.

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Photo, © Jean-François Feutriez
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Photo, © Sylvain Riandet

Des atouts indéniables

- Elle est proche du cœur de la ville, facilement accessible (à 200 mètres et visible de la RN 74)
- Elle est pourtant isolée, sur les anciens glacis de la citadelle, dans un environnement naturel de qualité (pelouses sèches, alignement d’arbres, vues imprenables sur la vallée de la Marne…)
- Elle est bien construite : son réduit fortifié est entièrement conservé, son unique porte a gardé son dispositif de pont-levis (le seul « survivant » à Langres) qui peut facilement être réinstallé…
son architecture est compacte, facilement lisible dans le paysage, rapidement repérable (contrairement aux fortifications de la citadelle plus complexes et vastes)
- Elle recèle dans ses entrailles une disposition unique : une galerie de fusillade. Sorte de souterrain de 250 mètres de long pourvu de meurtrières, elle était destinée à contrôler la base des fossés !

Le pont-levis

A Langres, entre 1844 et 1856, une dizaine de pont-levis (dont 5 doubles !) sont construits par le Génie  pour équiper les huit kilomètres d’enceinte. Ce sont tous les mêmes modèles: des pont-levis à la Poncelet. Du nom du capitaine qu’il l’a inventé, ce type de pont-levis connu un grand succès au milieu du XIXe siècle.
Ce pont-levis à contrepoids variable, est constitué de deux chaînes de relevage (A) passant sur deux poulies de renvoi (B) et se termine par un contrepoids (C) formé d’une chaîne à maillons très lourds qui peut descendre dans une fosse (D).
Au fur et à mesure que le tablier (E) est relevé via la manœuvre par un seul soldat d’une chaîne sans fin (F) et d’une grosse poulie (G), une longueur croissante de la chaîne repose au fond de la fosse et cesse d’agir.
On a ainsi diminution continue et régulière de l’effort de traction ! La chaîne de Poncelet est constitué de 3 à 7 files accolées de gros maillons de fonte ou « masselottes », reliés par des axes munis de goupilles : c’est dans ce nombre d’articulations sujettes à la corrosion que réside la principale cause de dérèglement du mécanisme et son principal défaut.
Dans la pratique, la « chaîne à masselottes » est suspendues à la chaîne de relevage non en bout mais au milieu, et accrochée à des consoles par les deux extrémités, ceci pour rendre le mouvement plus souple et diminuer les oscillations.

Le pont-levis de la Lunette 10 est le seul à pouvoir être restitué.
Il fera l'objet d'une restauration complète dans les années qui viennent en partenariat avec des établissements de formation technique.

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Photo, © Jean-François Feutriez

Restauration et valorisation

Un projet initié par la ville de Langres souhaite restaurer cet ouvrage en mobilisant les énergies locales et en offrant la possibilité aux habitants du Pays de Langres de participer à la mise en valeur de leur patrimoine.

Toute l'histoire des fortifications de Langres