La génèse du camp retranché

Avec l'apparition de l'artillerie rayée, la citadelle ne suffit plus pour défendre Langres. Il faut élargir le périmètre de protection à plusieurs kilomètres en avant du corps de place. La construction des forts de Peigney, Brévoines, la Bonnelle et la Marnotte est préconisée à partir de 1865. Seuls les forts de Peigney et de la Bonnelle sont commencés à partir de 1868.
La guerre de 1870 vient interrompre brusquement ces travaux.

Les fortifications de campagne (1870-1871)

Au déclenchement du conflit franco-prussien, la position des forts de Peigney et de la Bonnelle est complétée par la réalisation de fortifications de campagne pourvues de banquettes de tir en terre et entourées par des fossés taillés dans le rocher.

Certains de ces ouvrages comprennent un petit casernement en bois ou en maçonnerie capable d'abriter 120 hommes. Pour couvrir le front occidental de la place de Langres, les ouvrages de Brévoines et de Buzon sont respectivement implantés à 1 500 m et 2 500 m du corps de place, les batteries de Buzon croisant leurs feux avec les canons du fort de la Bonnelle.

Aménagé à 2 700 m de Langres, l'ouvrage de la Marnotte défendait la haute vallée de la Marne et contrôlait les plateaux situés au sud-est de la place forte. Enfin, les batteries des Fourches, de la Gare et des Franchises, implantées à 1 km des remparts de la ville, surveillaient les abords situés au nord et à l'ouest de Langres.

Si ces trois ouvrages ont aujourd'hui disparu, ceux de Buzon, de Brévoines et de la Marnotte, dont le plan est toujours lisible dans le sol, sont à compter au nombre des rares vestiges de fortifications de campagne conservés en France.

Grâce à la résistance de Belfort, les ouvrages du camp retranché de Langres n'ont pas eu à soutenir de siège durant la guerre de 1870.

Les leçons du conflit

La première crédibilise définitivement la fortification détachée et la " liaison par les feux " de l'artillerie de chaque fort.
La seconde constate les progrès rapides de l'artillerie et la nécessité d'augmenter à nouveau le périmètre défensif du corps de place.
La troisième oblige à totalement repenser le dispositif défensif français, désormais amputé de l'Alsace et de la Moselle.

Le contexte national

A la suite de la guerre de 1870, l’annexion par l’Empire allemand de l’Alsace et de la Moselle prive la France de ses défenses élaborées depuis Louis XIV.
L’ensemble  du  dispositif  défensif  français est à repenser; et vite !
Cette tâche sera menée à bien par le Général  du Génie Raymond Séré de Rivières.
Constatant le désavantage des nouvelles frontières et donc l’impossibilité d’arrêter l’ennemi sur celles-ci, il décide la mise en œuvre de « rideaux défensifs » destinés à favoriser la concentration et le mouvement des troupes.
Appuyés à chaque extrémité par des camps retranchés puissamment fortifiés (Verdun, Toul, Epinal et Belfort), ces rideaux sont constitués d’un chapelet de forts d'arrêt interdisant le passage.
Ils laissent libre deux grandes trouées (Charmes et Stenay) destinées à la manœuvre (offensives ou défensive) des troupes.
Offrant appuis et débouchés à une offensive française ou canalisant une percée allemande, ce système est complété en profondeur par la réalisation d’immenses camps retranchés de seconde ligne (Besançon, Dijon et Langres). Ils interviennent en appui des rideaux en coordonnant une offensive ou un repli stratégique.
Entrepris à partir de 1874, cet effort colossal sera pratiquement achevé en une dizaine d’années.

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Le système Séré de Rivières de Langres

Afin de répondre aux nouveaux besoins de protection, le dispositif langrois est complété par la mise en place, entre 1874 et 1885, d'une seconde ceinture de forts détachés et de batteries. Elle est organisée, par Raymond Séré de Rivières, autour de forts désormais implantés à une dizaine de kilomètres en avant du corps de place, à savoir ceux de Saint-Menge, de Dampierre et de la Pointe de Diamant, assurant les débouchés vers le nord, ceux de Plesnoy et de Montlandon, vers l'est, et enfin celui du Cognelot vers le sud. Ainsi disposés, les ouvrages défensifs devaient permettre de maîtriser l'ensemble du plateau de Langres, de couvrir l'important nœud ferroviaire de Chalindrey ainsi que les débouchés vers les bassins de la Marne, de l'Aube et de la Meuse.

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Le Général Séré de Rivière

Sa famille

Son grand-père, à partir d’une charge civile, achète une BARONIE.  Par les  alliances féminines, sa famille est alliée à LA PEROUSE, le navigateur, et à TOULOUSE LAUTREC, le peintre. Le père de Séré de Rivières est un militaire (chevalier de Rivières).
Sa vie
Raymond, Adolphe Séré de Rivières est le 6ème de 7 enfants, né le 20 mai 1815.  Il reçoit une éducation stricte et légitimiste. La tante joue un grand rôle dans la suite de sa carrière.

Il fréquente les milieux aristocratiques  de la bourgeoisie parisienne. Ses qualités intellectuelles sont l’esprit d’analyse et un réel talent de dessinateur. Sa culture est à la fois technique et mondaine.

Cet homme très souple de caractère au départ devient de plus en plus ferme et autoritaire. La presse fait de lui un portrait caricatural, un savant plus qu’un militaire.

Il meurt à Paris, 16 rue d’Assas, aveugle ou presque, le 16 février 1895.

Sa carrière

Polytechnicie de 1835 à 1837, Raymond Séré de Rivières entre comme élève à l'Ecole d'Application de l'Artillerie et du Génie dont il sort lieutenant en 1841. Après avoir fait les campagnes d'Algérie (1841-1842) et d'Italie. Aucune citation au combat sauf pour une blessure grave (en Italie). Il devient colonel en 1868, commandant du génie à Metz puis à Lyon.

En 1870, il est en garnison à Metz (avec BAZAINE - capitulation du 28 octobre 1870). Promu général de brigade en octobre de cette même année, son rôle durant la guerre franco-allemande est assez limité et c'est avec réticence qu'il accepte d'être chargé de l'instruction du procès du maréchal Bazaine devant le conseil de guerre.

En 1871, il accompagne la retraite en Suisse avec BOURBAKI : il combat à Villersexel, Arcey. Ses conseils pour éviter la Suisse ne sont pas écoutés par l’état-major. Ses conclusions - accablantes - conduiront à la condamnation du maréchal.

Raymond Séré de Rivières prend en juin 1873 le poste de secrétaire du Comité de défense (qui était un organe gouvernemental et non parlementaire) créé en 1872 par Adolphe Thiers pour réorganiser la défense du territoire. Le système qu'il préconise alors dans plusieurs mémoires est adopté à l'unanimité par le Comité de défense et fait l'objet du projet de loi relatif à l'amélioration des défenses des frontières de l'Est (loi adoptée le 17 juillet 1874). Et c'est lui qui, nommé chef du génie au Ministère de la guerre, sera chargé d'en assurer l'application. Ce système - qui porte son nom - sera réalisé entre 1874 et 1885 et consiste notamment en la construction de 400 ouvrages fortifiés entre Dunkerque et Nice.

C'est vraisemblablement pour des raisons politiques - sa réputation d'officier conservateur et le fait d'avoir été soutenu par le maréchal de Mac-Mahon, contraint à se démettre - qu'il est relevé de ses fonctions en janvier 1880. Il est en effet limogé à la suite de règlements de compte et d’intrigues politiques auxquelles est mêlé le ministre de la guerre qui était auparavant directeur des fortifications de Paris (critiquées par Séré de Rivières). Il refusera le poste d’ambassadeur à Saint-Petersbourg !

Le général Séré de Rivières n'a pas été parlementaire ni à fortiori membre de la commission de la défense. Son nom apparaît toutefois dans les Annales de l'Assemblée nationale. Il a en effet déposé en 1873 devant la commission d'enquête sur les actes du gouvernement de la Défense nationale en qualité de commandant en chef du génie de l'armée de l'Est.

Conclusion

Une  forte   personnalité,  malgré  son   rôle  effacé  dans  le  génie,  mais  de  solides   connaissances  techniques (différent en cela des officiers de « mêlée ») de celui qui fut le VAUBAN du XIXème siècle. L’hostilité à Séré de Rivières venait des bonapartistes et des opposants du système défensif.

La Crise de l'obus-torpille

Les aménagements face à la crise de l'obus-torpille (1888-1905)

Le camp retranché de Langres connaît de nouveaux aménagements de 1888 à 1905 pour contrer la puissance de l'obus-torpille en acier. N'appartenant pas aux positions défensives de première ligne, les forts de la ceinture fortifiée de Langres ne sont pas bétonnés. En revanche, selon l'instruction du 22 juillet 1887, leurs défenseurs et leurs pièces d'artillerie doivent être dispersés dans divers ouvrages intermédiaires. Au total, huit ouvrages d'infanterie, dix magasins à poudre souterrains - ou magasins-cavernes - et quatre puits stratégiques sont ajoutés au camp retranché de Langres. Ils sont répartis en grands secteurs défensifs autour des forts qui ne servent plus que de réduits.

Une première ligne défensive est ainsi établie au nord du camp retranché, entre les forts de Saint-Menge et de Dampierre, avec la création des ouvrages d'infanterie de Jorquenay, de Movange et de la Montagne. Ces nouvelles positions destinées à abriter les hommes desservant les batteries extérieures sont approvisionnées en poudres et munitions par deux magasins-cavernes, ceux de Jorquenay et de la Manere, aménagés plus en retrait. Les forts de Dampierre et de Saint-Menge sont dans le même temps dotés d'un magasin-caverne.
Les ouvrages de Perrancey, du Fays, de Noidant et de la Croix d'Arles sont par ailleurs construits à l'est et au sud du corps de place, entre les forts de la Pointe de Diamant, de la Bonnelle et du Cognelot. Ce secteur est complété par l'aménagement des magasins à poudre souterrains de Brévoines et de Saint-Geosmes-la Bonnelle, un dernier magasin de ce type étant ajouté au fort du Cognelot.

Le dispositif de ravitaillement de ce secteur est renforcé en 1888-1889 par le creusement de quatre puits stratégiques dans les zones sud et sud-ouest de Langres, là où topographiquement, l'approvisionnement en eau était déficient. Il s'agit des puits de la Combe des Dîmes, du bois de Champigny, de la Combe de Grand'Gorge et de la Fougère. Enfin, près de 60 km de chemins stratégiques sont créés jusqu'en 1893 afin d'assurer les communications entre ces divers aménagements.

Jusqu’à l'aube du XXe siècle, le camp retranché va se transformer. A l’issue de plus d’un demi-siècle de travaux acharnés, il sera constitué de plus d’une quarantaine d’ouvrages (citadelle, 8 forts détachés, 20 batteries  et ouvrages  d‘infanterie, 9 magasins souterrains, 4 puits stratégiques) qui ne seront pas engagés dans le premier conflit mondial.

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Vocabulaire, histoire et principes de la fortification

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